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Interview de l'Ambassadeur, S.E.M. Sailas Thangal avec le Journal l'Avenir

Posted on: February 02, 2022 | Back | Print

Q: Combien de ressortissants indiens vivent en Côte d’Ivoire et quelles sont leurs principales activités ?

R: Je ne peux pas vous donner un chiffre précis. Mais on peut estimer entre 1500 et 2000, le nombre d’Indiens en Côte d’Ivoire. Particulièrement, dans la période de la récolte de la noix de cajou, ce nombre augmente, parce que les acheteurs indiens privilégient le contact avec les producteurs. Donc, ils sillonnent toutes les villes, régions productrices de la noix de cajou. Mais la communauté indienne est plus concentrée à Abidjan. Certains sont à Bouaké, San Pedro, Korhogo et Bondoukou. Il faut dire que les entreprises indiennes sont installées dans plusieurs régions du pays. La coopération entre la Côte d’Ivoire et l’Inde va au-delà des deux gouvernements (ivoirien et indien). Elle s’étend sur tous les secteurs. Elle concerne les secteurs privé, public…

Q: Dans quels secteurs d’activités évoluent-ils ?

R: La plupart d’entre eux sont dans le commerce et les services. Mais, il y a un petit nombre qui travaille dans les institutions internationales telles que la Banque Africaine de Développement (BAD)... Vous avez aussi des hommes d’affaires, avec de grandes entreprises indiennes installées en Côte d’Ivoire. Il y en a qui sont des fournisseurs de l’acier et travaillent dans le domaine du ciment.

 « La coopération entre la Côte d’Ivoire et l’Inde va au-delà des deux gouvernements »

Q: Quel bilan pouvez-vous dresser de la coopération entre les deux pays ?

R: C’est vrai qu’entre les deux pays, il y a une grande distance au plan géographique. Mais sur le plan de la coopération, ces deux pays sont très proches. Ils travaillent dans une parfaite complémentarité dans plusieurs domaines. Les échanges bilatéraux entre l’Inde et la Côte d’Ivoire, à ce jour, ont déjà dépassé le milliard de dollars. Mais le plein de potentialité de cette coopération n’a pas encore été complètement développé. Il y a encore beaucoup d’autres aspects qui peuvent être explorés. La coopération entre les deux pays s’étend également au plan international. C’est notamment sur le plan de la promotion de la démocratie. Les deux pays combattent ensemble, le terrorisme transfrontalier qui constitue une question majeure touchant beaucoup de pays du monde. Lorsque la Côte d’Ivoire était membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, en 2019, l’Inde a soutenu les positions de la Côte d’Ivoire et à son tour, quand l’Inde en est devenue membre non permanent, la Côte d’Ivoire a soutenu ses positions.

 « L’Inde est le plus grand transformateur et consommateur de noix de cajou »

Q: Qu’est-ce qui est fait par l’Inde au profit des élèves et étudiants dans le cadre de la coopération entre les deux pays ?

R: à propos des programmes de formation et des bourses d’études, il y a un premier programme qui est dénommé ITEC (Coopération technique et économique indienne). Donc, par ce programme, l’Inde offre à la Côte d’Ivoire, 100 bourses par an. à cause de la situation de Covid-19, il y a eu une interruption temporaire. Mais ce programme sera relancé. Il ne concerne pas seulement la Côte d’Ivoire. Il est international et couvre 60 pays. C’est un programme qui court d’avril à mars de chaque année. En fait, notre année fiscale est différente de la vôtre. Pour nous, c’est d’avril à mars, alors qu’ici, c’est de janvier à décembre. Compte tenu de ce décalage, ce programme est lancé à une période différente. Il y a un deuxième programme qui est dénommé ICCR (Conseil indien pour les relations culturelles). Ce programme concerne les personnes qui ont le niveau supérieur, ont une licence ou une maîtrise et veulent continuer le programme en doctorat. Pour ces bourses, 10 sont offertes par an aux Ivoiriens. Pour le dernier qui a été lancé, huit personnes ont été qualifiées. Pour revenir au programme ITEC, il faut souligner que c’est un programme qui offre des cours en ligne. Mais ce programme n’est pas très connu ici, à cause de la barrière de la langue. Parce que les programmes sont diffusés en anglais. Il y a un autre qui s’appelle ILearn. C’est un programme de formation qui est mené en collaboration avec l’Université de Man. Au niveau de ce programme, il y a tout ce dont les étudiants ont besoin, à savoir un ordinateur… Parce que les programmes sont diffusés en anglais et ce sont des enseignants des plus grandes universités en Inde qui dispensent ces cours. Pour ceux qui sont inscrits dans ce programme et n’ont pas d’ordinateurs, il y a une salle multimédia aménagée par l’ambassade de l’Inde pour qu’ils puissent suivre les cours. Les domaines de formation sont divers, particulièrement ceux qui concernent l’Université de Man. Ils vont de la médecine, à l’ingénierie… et bien d’autres domaines. 

Q: Les échanges entre l’Inde et la Côte d’Ivoire ont dépassé la barre d’un milliard de dollars. Quel est le contenu de ces échanges ?

R: L’inde, le plus grand transformateur et consommateur de la noix de cajou au monde, importe une grande partie de la production de la Côte d’Ivoire qui en est le plus grand producteur et exportateur au monde. Et la Côte d’Ivoire importe du riz de l’Inde.

 « Les échanges bilatéraux entre l’Inde et la Côte d’Ivoire, à ce jour, ont déjà dépassé le milliard de dollars »

Q: Vous avez été reçu en avril dernier par le Premier ministre ivoirien. à votre sortie d’audience, vous avez affirmé que l’Inde allait renforcer la coopération avec la Côte d’Ivoire à travers un partenariat gagnant-gagnant. Que gagne la Côte d’Ivoire dans cette coopération ?

R: La Côte d’Ivoire et l’Inde partagent beaucoup de choses en commun. Et les deux pays ont une certaine complémentarité, notamment le domaine des soins médicaux et pharmaceutiques. 94% des médicaments consommés en Côte d’Ivoire sont importés. Ce qui représente par an, 300 millions d’Euros. C’est vrai qu’à cause du circuit d’importation (les médicaments indiens sont obligés de passer par la France, ce qui augmente le coût des médicaments), les médicaments indiens sont non seulement de grande qualité, mais sont 20% moins chers que les autres médicaments importés des autres pays. Toujours dans ce même secteur, pour concrétiser cette coopération gagnant-gagnant, l’Inde, à l’occasion des 75 ans de l’anniversaire de son indépendance, a offert des médicaments gratuitement à des centres de santé, après des consultations gratuites. Notamment à Grand-Bassam, Bonoua, Adzopé, Dabou, Anyama, Yopougon. L’activité devait se tenir à Yamoussoukro, mais à cause de la flambée du variant Omicron, elle a été reportée. Le second secteur ciblé, a été celui de l’agriculture. 50% de la population indienne vivent de l’agriculture. Ici en Côte d’Ivoire, on le sait, c’est environ 60% qui vivent de l’agriculture. Donc, c’est une complémentarité. Si donc les deux pays réussissent à accroître significativement la production agricole, ils seront plus forts. On sait également que la Côte d’Ivoire est le plus grand producteur au monde de cajou. D’un autre côté, il y a le domaine du riz où l’Inde est un grand exportateur et où la Côte d’Ivoire est un importateur. C’est dans ce domaine que le partenariat gagnant-gagnant se matérialise. Les Indiens utilisent la noix de cajou dans diverses préparations de leurs nourritures. Nous avons contribué à l’installation d’une usine de transformation de noix de cajou qui permet à la Côte d’Ivoire de transformer une grande partie de sa production, avant la commercialisation. Nous estimons que si la Côte d’Ivoire peut transformer 50% de cette production, les recettes que vont générer ces ventes, seront multipliées par 10 et même plus. à ce jour, pratiquement 90% de la production sont exportés. Cette usine de la noix de cajou à Toumodi, est la plus grande unité de transformation au monde.

Q: Comment l’Inde envisage d’aider la Côte d’Ivoire à transformer au moins 50% de sa production de matières premières ?

R: C’est évident que nous sommes prêts à accompagner la Côte d’Ivoire, puisque la plus grande unité au monde de transformation de noix de cajou est installée en Côte d’Ivoire. C’est pour concrétiser cela que nous avons implanté cette usine ici. à ce jour, elle a une capacité de production de 70 000 tonnes par an. Et c’est possible d’accroître cette capacité. C’est la matérialisation de la coopération gagnant-gagnant.

 « Nos entreprises peuvent aider la Côte d’Ivoire à s’industrialiser davantage »

Q: La Côte d’Ivoire et l’Inde entretiennent une coopération depuis 1979. Pourquoi depuis, la Côte d’Ivoire n’arrive pas à bénéficier de la technologie de l’Inde, notamment en matière de transformation de ses matières premières ?

R: Je ne connais pas les raisons qui font qu’on est à ce stade où nous sommes encore en train de parler de transformation de matières premières. Cependant, j’estime qu’étant donné que l’environnement des affaires est en train d’être davantage assaini, et devient de plus en plus attractif, les choses vont s’améliorer. Ce que je peux faire en tant qu’ambassadeur, c’est d’encourager les entreprises indiennes à venir investir, parce que l’environnement est propice. Vu l’expérience de l’Inde, nos entreprises ont toutes les capacités, l’expérience, la technologie pour pouvoir aider la Côte d’Ivoire à s’industrialiser et transformer ses matières premières.

Q: Au niveau agricole, pourquoi c’est l’anacarde qui est privilégié par l’Inde au détriment des autres produits comme le café et le cacao ?

R: C’est vrai que l’Inde a des usines de transformation du café et du cacao, mais ce n’est pas aussi marqué comme dans le domaine de la noix de cajou. D’autre part, il est plus facile d’exporter le cacao et le café vers l’Europe que vers l’Inde. En Europe, le marché est beaucoup plus développé. Les usines de transformation sont beaucoup plus en avance. Donc, pour ces deux produits, il ne peut pas avoir de concurrence entre l’Inde et l’Europe. Pour l’heure, ce n’est pas une priorité, mais il y a d’autres secteurs comme ceux du caoutchouc où la Côte d’Ivoire est le premier producteur au monde, le domaine des nouvelles technologies de la communication (NTIC), l’automobile… Les véhicules qui sont produits par l’Inde répondent à toute la gamme de véhicules dont on peut avoir besoin. Que ce soit des petits véhicules privés, les cars pour le transport, les camions, les tracteurs… l’Inde en produit. Plus, nous proposons ces engins à des prix deux fois moins chers que ce que les autres proposent.

Q: L’actualité en Afrique de l’Ouest, ce sont les mouvements d’instabilité, les coups d’état en Guinée, au Burkina Faso et au Mali… Quel regard portez-vous sur ces situations ?

R: N’ayant pas vécu dans ces pays, je ne connais pas la réalité de ce qui se passe là-bas. J’ai fait le même constat que tout le monde quand ça commencé au Mali, après en Guinée, ensuite au Burkina Faso et l’échec en Guinée-Bissau. Je suis quelqu’un qui soutient la démocratie. Vivement la démocratie. C’est à chaque peuple d’identifier ce dont il a besoin.

Q: L’Inde est un pays qui s’impose aujourd’hui. Ce pays s’est pourtant illustré par des images de pauvreté, de famine au début de son indépendance. Quel est votre secret pour réussir cette ascension ?

R: Je vais commencer à partir de l’indépendance pour que vous ayez une meilleure idée de compréhension de la chose. L’Inde a acquis son indépendance en 1947, donc 13 ans avant l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Mais cette indépendance n’a pas été acquise dans les mêmes circonstances que celle de la Côte d’Ivoire. Pour la Côte d’Ivoire, cela a été une sorte d’entente entre le président Houphouët et le général De Gaule, de la France. Avec l’Inde, ça été brutal. à l’époque, le pays a été divisé. C’est pourquoi, on a aujourd’hui, l’Inde et le Pakistan qui constituaient un seul pays. Par le passé, l’Inde produisait pour le marché britannique, donc c’était des cultures exportées, mais il n’y avait pas de cultures vivrières pour nourrir la population. Donc, lorsque la séparation brutale s’est faite entre la Grande Bretagne et l’Inde, notre pays a connu une grande famine et beaucoup de personnes sont mortes à l’époque. Il a fallu la vision de plusieurs hommes d’état, mais de deux en particulier, dont Mahatma Ghandi et Jawaharlal Nehru. Il a été mis sur pied, l’Institut indien de technologie et c’est de là qu’est partie une révolution. Cette révolution a permis de former plusieurs cadres qui, lorsqu’on parle des 500 plus grandes entreprises dans le monde, notamment Google (60% de ceux qui y travaillent sont des Indiens), Facebook, twitter…. Mais il faut souligner que l’Inde est toujours un pays en voie de développement. On ne peut pas dire qu’on a atteint nos objectifs. Il y a encore beaucoup de pauvres en Inde. La révolution verte a mis l’accent sur la production de légumes et fruits. Beaucoup d’habitants de notre pays ont un régime végétarien, donc on ne consomme pas en grande majorité, la viande. Pour compenser ce déficit en protéine alimentaire, on a mis l’accent sur la production de lait à travers la révolution blanche. Ce qui a fait que l’Inde est un grand producteur de lait. Il y a eu la révolution bleue qui concerne les produits halieutiques. La Côte d’Ivoire importe 80% du poisson. Ensuite, il y a eu la révolution.com concernant les technologies de l’information. Voici des révolutions entreprises par l’Inde pour être là où elle se trouve aujourd’hui.

Q: En Côte d’Ivoire, le gouvernement a initié un dialogue politique avec l’ensemble de la classe politique. Quels conseils pouvez-vous donner pour la réussite de ces travaux ?

R: C’est une très belle initiative que le gouvernement a entreprise. Tout le monde devrait la soutenir afin qu’elle puisse aboutir pour le bien de la Côte d’Ivoire. Sans dialogue, ce n’est pas possible d’avoir la paix. Et s’il n’y a pas de paix, il ne peut pas avoir de coopération et s’il n’y a pas de coopération, il ne peut pas avoir d’investissements et s’il n’y a pas d’investissements, il ne peut pas avoir de développement et sans développement, il n’y a pas d’entreprises. Il ne peut pas avoir de créations d’emplois et s’il n’y a pas de créations d’emplois, il n’y a pas d’argent à gagner ni à dépenser. J’encourage le gouvernement et l’opposition à adhérer à cette initiative et que ce soit un succès pour la réussite et le développement de la Côte d’Ivoire.

 

Interview réalisée par Venance KOKORA.

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